Printemps au Dojo du Laurier
月桂道場 Gekkeiju Dojo
Tempêtes, épidémie, ça secoue…
Au tout début, j’ai en toute conscience mis mon attention, à toute l’agitation légitime autour de l’épidémie, hors média et je me suis dégagée des conversations et commentaires. Bien sûr, le désarroi et le malheur des gens affectés là ou tout là-bas, directement ou indirectement, me rend triste et inquiet. Sans indifférence je suis resté autant que je puis, dans ma vigilance, dans mon attention à mon entourage et mes perceptions plus affutées que d’habitude aux arbres, au vent, à l’air, au soleil et à la pluie.
La nature est ébranlée et s’agite. Probablement tente-t-elle de s’accorder dans des élans dévastateurs. Son langage si incommodant soit-il, m’interpelle. Les pollutions vont bon train, tout a été dit : en parler, agir à sa mesure doit être fait encore et encore.
Les habitudes sont ancrées, l’égoïsme et l’individualisme vont à l’opposé des choses unifiées que la grande Nature nous suggère continuellement et elle souffre de cela.
Les concordances * sont inconnues à nos entendements. Les intuitions, les penchants disparaissent au profit des analyses et des besoins pervertis. Nous ne voyons plus rien venir et paradoxalement être surpris ou surprendre ne se manifeste quasiment plus. La fraicheur de l’émerveillement stagne.
« Ne pas attaquer, ne pas se défendre, se relier dans l’innocence de cœur, agir sans objectif de profit, être connecté, se sentir concerné, attiré par le Bien, le Vrai , le Beau»
sont les maitres cœur de nos pratiques d’Aïkido et de Kyudo.
Les intéressés sont rares et ceux-là même qui tentent d’y gouter, ont le plus grand mal à les appliquer, à s’en approcher et même à les concevoir.
Le bain ambiant est collant comme une boue nauséabonde.
C’est insurmontable, les imaginations sont bloquées, les mémoires défaillantes, les stéréotypes ancrés. Pendus aux idées des médias, aux inquiétudes dictées, les corps s’endorment dans des rigidités collectives.
Alors les systèmes despotiques avancent à notre insu. Ils se développent ici et là.
L’Epidémie aussi est encore plus insidieuse.
Pourtant les remèdes existent et les traces sur lesquelles on pourrait s’engager nous sont offertes. Elles sont plus que des thérapies, mais une manière de vivre plus accordée. L’Œuvre de guérison se met trop doucement en marche. Dans cette immersion que nous avons choisi la priorité pourrait prendre plus de place, le sentiment d’urgence est clair car nous savons que les changements se font doucement, imperceptiblement.
La confiance, la gratitude seront continuellement polies, entretenues, partagées.
Ces nécessités sont guérissantes, désaltérantes, enivrantes.
Mais pourquoi donc s’en priver ?
Individuellement nous ne pouvons rien faire contre le virus, si ce n’est les usages évidents de prudence sans succomber à la panique, mais nous devons œuvrer à plus de connexion, et se mettre à appliquer dans notre vie de tous les jours les préceptes de nos pratiques.
Et puis le Printemps verdit, un peu en avance. Les jours s’étendent et quelques boutons rosées se détachent en vaillant éclaireurs sur les branches des cerisiers.
Notre projet, le Dojo du Laurier prend forme et surprend chaque jour par l’enchevêtrement de ses bois. Ce sera un Dojo de printemps qui protégera nos « keikos » semblables à ces fragiles et délicates pétales sur une vieille branche.
Les charpentiers remplissent de leur humble passion les troncs coupés taillés rabotés, ajustés. Ils sont aimables, gentils, respectueux envers la matière qu’ils marient ; ils sont précis, polis et attentifs. Ils en font de même avec les gens qu’ils côtoient.
Les premiers jours ils ont pataugé dans un vent pluvieux et froid, une boue collante remontant sur leur falzar sans plus de forme. Sous leur bonnet trempé, des visages marqués et poilus, leurs yeux pétillaient. Tantôt magiciens extirpant et dressant de la boue, de belles poutres rouges et luisantes, tantôt de la race des oiseaux, perchés, agençant et mariant fermes, sablières, arbalétriers, ils s’activaient efficacement. Les arbres autrefois dressés dans leur lieu de naissance, sont désormais forêt de chevrons, solives, poinçons, blochets, entrait… se rassemblant mystérieusement pour porter et protéger nos devenirs.
Le grand rocher et sa tignasse de laurier regarde curieusement et amicalement ce remue-ménage. La grosse pierre flirte déjà avec poutres et solives. Elle s’apprête à investir le Dojo.
Ainsi ce Printemps nouveau déferle en vagues singulières. Puisse-t-il réveiller en nous un nouvel élan et plus enthousiaste dans notre intimité…
Bernard
* concordances : Référence au mot du jour précédent « ELLE »